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Le cerveau dans tous ses états

Relaxation, méditation, hypnose, EMI... La conscience, caractérisée par la fréquence des ondes cérébrales, peut être modifiée à volonté, avec des bénéfices pour la santé.

Image d'un cerveau humain dévoilant les principales voies neuronales qui connectent différentes parties du système nerveux central entre elles.

Si l'on portait en permanence un casque à électrodes qui mesure l'activité électrique de notre cerveau(électroencéphalographie ou EEG), nous observerions que l'on expérimente, chaque jour, de multiples états de conscience, chacun correspondant à l'émission d'ondes cérébrales différentes, d'une gamme de fréquence particulière (en hertz). De nombreuses techniques permettent de passer volontairement d'un état à un autre. Décryptage.

LES DIFFÉRENTES ONDES DU CERVEAU.

Lorsqu’il est en veille active, notre cerveau émet surtout des ondes rapides, dites bêta (de 12 à 30 Hz), avec l’apparition d’ondes gamma spécifiques (vers 40 Hz) lors d’une activité intellectuelle et mentale (intense). Alors qu’en relaxation légère ou éveil calme (assis dans son canapé yeux fermés par exemple), ce sont des ondes alpha (de 8 à 12.Hz) qui dominent. Les ondes thêta (4 à 8 Hz) correspondent, elles, à la relaxation profonde, la méditation et à un certain type de sommeil (paradoxal).

Enfin, en sommeil profond, les ondes majoritaires sont de type delta (de 0,5 à 4 Hz). « Au cours d’une journée, nous ne faisons que passer d’un état de conscience à l’autre », explique Marie-Élisabeth Faymonville, chef du service d’algologie- soins palliatifs du CHU de Liège, hypnothérapeute mondialement reconnue.

LES DIFFÉRENTS ÉTATS MODIFIÉS DE CONSCIENCE.

Ce large éventail d’états de conscience, modulés par les ondes cérébrales, peut modifier les perceptions. Parfois, le changement est involontaire et brutal. Ainsi, en cas de danger mortel ou de situation émotionnelle extrême, nous pouvons basculer dans un état dit d’expérience de mort imminente (EMI) dont on commence à percer les secrets (lire p. 38). Ou se mettre en hypnose spontanée. « Les gens peuvent avoir l’impression de sortir de leur corps, de ne plus sentir de douleur, d’être dissociés », rapporte Marie-Élisabeth Faymonville. Mais ce « débrayage » cérébral peut aussi être volontairement provoqué. Les chamans ou les moines bouddhistes, entre autres, ont appris à moduler leurs ondes cérébrales par la transe, l’état extatique ou la méditation profonde.

En Occident, d’autres méthodes telles que la relaxation, la sophrologie, l’hypnose, la méditation de pleine conscience ou le yoga nidra font recette. Point commun : toutes sont une dissociation entre l’esprit, le corps et l’environnement, où l’individu perd plus ou moins la notion de soi de l’espace et de temps. Mais toutes n’ont pas la même intensité de dissociation. D’où le classement que le professeur Faymonville a établi, de la simple relaxation à l’état extatique « où l’individu a la sensation d’être en fusion avec l’Univers » (voir l’infographie ci-dessous).

LES TECHNIQUES UTILISÉES.

Différents moyens existent pour obtenir l’e. et désiré. Des plantes psychotropes comme l’ayahuasca (Amazonie), l’iboga (Afrique), des champignons hallucinogènes ou des drogues (LSD, kétamine…) induisent un état modifié de conscience. Non sans danger. Mais d’autres techniques corporelles le permettent tout autant. Selon Marc-Alain Descamps, professeur de psychologie et de yoga, auteur de Corps et extases, cela va de l’hyperventilation (transe chamanique, yoga, soufisme…) aux rotations accélérées de la tête (derviches tourneurs), en passant par l’isolation des sens ou la répétition de phrases ou d’images mentales. Quel que soit l’état recherché, le stimulus répétitif est le meilleur catalyseur. Il sature les sens et permet à d’autres fonctions cognitives de s’exprimer. Un peu comme si l’on distrayait le chef d’orchestre afin que des instruments en arrièreplan puissent jouer librement.

Les techniques d’induction hypnotiques utilisent ce principe.

«Elles saturent le cerveau d’informations, poursuit l’hypnothérapeute. Je demande au patient de bien focaliser son attention sur ses pieds, de remarquer tous les changements qui surviennent, etc. À force d’être dans cet hypercontrôle, on perd le contrôle.»

Les chamans utilisent, eux, des battements de tambour répétitifs. « Cela limite l’entrée sensorielle à un seul stimulus auditif hautement prévisible, explique Michael Hove, du Max Planck Institute for Human Cognitive and Brain Sciences de Leipzig (Allemagne) qui étudie la transe chamanique. Les chamans se retrouvent ainsi dans un état si absorbé qu’ils se désengagent de l’environnement sensoriel. » De précédentes recherches ont montré que la fréquence des percussions utilisée se situait entre 3 et 7 Hz selon un rythme immuable, cette fréquence correspondant à celle des ondes thêta du cerveau. Ce qu’a confirmé Michael Harner, célèbre anthropologue américain, qui a déterminé que 220 battements par minute (un peu moins de 4 Hz) étaient la fréquence idéale.

LES SECRETS DU CERVEAU EN TRANSE.

Les chercheurs sont allés plus loin dans l’exploration du cerveau en transe. Ainsi, en 2015, Michael Hove a observé l’activité cérébrale de 15 pratiquants du chamanisme. Une fois allongés dans une IRM fonctionnelle (IRMf ), il leur a diffusé le son de tambours réguliers à 4 Hz, inducteur de transe. « Le cerveau active le cortex cingulaire postérieur impliqué dans la cognition interne, rapporte Michael Hove, mais aussi le cortex cingulaire antérieur dorsal et l’insula antérieur gauche, qui contrôlent les fonctions cognitives. »

Autrement dit, durant la transe, le réseau de cognition interne, impliqué dans les pensées indépendantes des stimuli extérieurs, est amplifié. Simultanément, l’IRMf a révélé que le réseau cérébral auditif diminuait :

le chaman n’entend plus ce qui l’entoure, ce qui favorise la plongée en soi. « Cette reconfiguration des réseaux peut promouvoir l’intégration de nouveaux concepts et une révélation (insight) peut survenir », conclut Michael Hove.

LES EFFETS INTRIGANTS DE LA MÉDITATION ET DE L’HYPNOSE.

Le Coma Science Group du CHU de Liège (Belgique) a montré en 2013 que l’hypnose activait également des réseaux internes (conscience de soi) et entraînait une baisse des réseaux externes (conscience de l’environnement). De même, les études d’Andrew Newberg de l’université de Philadelphie et de Richard Davidson de l’université de Wisconsin-Madison, aux États- Unis, révèlent que lorsqu’un moine tibétain médite, l’activité dans le lobe préfrontal de son cerveau augmente, signe d’une concentration intense alors que celle de la région pariétale droite diminue, indiquant une perte d’attention temporelle et spatiale.

Les zones limbiques (impliquées dans les émotions) sont aussi très actives, contribuant au sentiment de bienêtre. Par ailleurs, Richard Davidson a montré que les moines bouddhistes expérimentés produisaient, en méditant, près de 30 fois plus d’ondes gamma (activité mentale intense) que les débutants. Au CHU de Liège, une nouvelle question taraude aujourd’hui l’équipe : le niveau de conscience du cerveau en méditation est-il plus élevé qu’en phase d’éveil ? Le bouddhiste Matthieu Ricard s’est livré récemment à l’expérience. Réponse en 2017.

LE CAS PARTICULIER DU RÊVE LUCIDE.

Celui-ci est un état modifié de conscience particulier puisqu’il survient… pendant le sommeil. « Le dormeur est capable d’avoir une conscience réflexive, il sait qu’il rêve », définit Isabelle Arnulf, neurologue, directrice de l’unité des pathologies du sommeil à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, à Paris.

Les rêves lucides surviennent lorsque les lobes frontaux normalement endormis se réveillent, alors que la conscience de l’environnement du dormeur est toujours inhibée. Depuis que le chercheur Stephen Laberge, psychophysiologiste américain a eu l’idée, dans les années 1980 de dialoguer avec les rêveurs lucides grâce à un code oculaire, de nombreuses études ont révélé qu’on pouvait s’exercer à contrôler ses rêves. « Pour cela il faut commencer par les noter, ce qui permet d’y prêter attention, reprend Isabelle Arnulf. Ensuite, on peut les influencer. »

À QUOI SERVENT LES ÉTATS MODIFIÉS DE CONSCIENCE ?

Selon Steven Laureys, responsable du Coma Science Group, les états modifiés de conscience spontanés tels que l’EMI seraient une protection psychologique dans une situation traumatisante. Pour les états provoqués (transe, méditation…), il y aurait d’autres bénéfices. Nancy Vuckovic, du Center for Health-Norwest de Portland (Etats-Unis), a ainsi montré sur 23 patientes souffrant de troubles temporo-mandibulaires douloureux que cinq séances de transe chamanique ont un effet antidouleur qui se prolonge au moins neuf mois. L’hypnose aussi module les circuits cérébraux de la perception de la douleur, comme l’a montré le Coma Science Group. L’équipe de Marie-Élisabeth Faymonville l’utilise donc au bloc opératoire, combinée à une anesthésie locale et à une sédation légère.

Quant à la méditation, elle a fait son entrée dans une dizaine d’hôpitaux en France, comme à Strasbourg qui a même créé le premier diplôme universitaire de Médecine, méditation et neurosciences s’adressant à des médecins, psychologues ou chercheurs. Sa principale indication : les traitements antistress et la dépression (lire Sciences et Avenir n° 797, juillet 2013). « C’est un nouvel outil qui diminue de 30 % les rechutes dépressives », assure le professeur de psychiatrie Gilles Bertschy du CHU de Strasbourg. Après un épisode dépressif, les médecins proposent donc aux patients un programme de méditation de pleine conscience en huit semaines, validé par des essais cliniques, pour enrayer le phénomène. Au final, Gilles Bertschy n’est pas surpris de l’engouement pour ces techniques. « Nous sommes nombreux à avoir le sentiment d’être submergés par l’information. Le cerveau est suractivé, multitâche, distrait. C’est pourquoi on cherche de plus en plus de moyens de prendre de la distance, de faire une pause. » En toute conscience.

COMA. Établir le bon diagnostic

Quarante et un pour cent des diagnostics sur l’état de conscience des patients dans le coma seraient… erronés, selon une étude du Coma Science Group de Liège (Belgique) publiée en 2009. Après une lésion cérébrale, il existe en effet plusieurs états de conscience altérée, aux pronostics différents. Un coma (yeux fermés, inconscient) peut durer de quelques heures à des semaines. Ensuite, soit le patient peut se réveiller et récupérer, soit il peut décéder. Mais aussi, il peut ouvrir les yeux et demeurer inconscient de lui-même et de son environnement, dans un état dit végétatif/éveil non répondant. Dès lors, s’il ne montre pas de signe de conscience entre 3 mois (après un arrêt cardiaque) et 12 mois (après un traumatisme), ses chances de récupération fonctionnelle sont très réduites.

D'autres peuvent évoluer différemment. Sans pouvoir communiquer ils montrent des signes de conscience fluctuants mais reproductibles, dans un état dit de« conscience minimale » pouvant évoluer plus ou moins favorablement. Enfin des patients sortent du coma mais entièrement paralysés, atteints du locked-in syndrome ou syndrome d’enfermement, causé par une lésion du tronc cérébral. Établir le bon diagnostic est donc déterminant pour tenter d’anticiper le devenir du patient et proposer les bons traitements. L’équipe de Liège préconise ainsi l’utilisation de la Coma recovery scale revised une échelle d’évaluation en 25 étapes, plus sensible et fiable que l’examen clinique habituel.

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